Erreurs du protestantisme et malentendus catholiques à propos de Lc 1, 28

Publié le 23 Février 2024

Je tiens d'abord à présenter mes excuses pour les répétitions et les redites qui pourraient se trouver dans cet article. En effet, les erreurs concernant la Vierge Marie dans le protestantisme sont souvent reprises par diverses personnes. Je souhaite également présenter des excuses par avance pour toute tonalité offensive envers le protestantisme dans les propos qui vont suivre. Le but étant d'établir les faits. 

Les égarements coutumiers à propos de Lc 1, 28

Comme nous l'avons vu dans un précédent article, κεχαριτωμενη ou kecharitōmĕnē est un participe parfait passif.

L'action menée sur le sujet de la Vierge Marie est un processus qui a débuté dans le passé, qui s'est déroulé et s'est achevé, et est constaté lors de l'Annonciation en Luc 1, 28.

Jetons maintenant un coup d'œil à ce que les réformateurs disent à propos de ce verset.

Matthiew Henry : Nous avons dans ce texte, un récit relatif à la mère de notre Seigneur ; bien que nous ne devions pas lui adresser de prières, nous pouvons cependant louer Dieu, à son sujet.
Christ devait naître d’une façon miraculeuse. Les propos de l’ange signifiaient simplement : je te salue, toi qui as été spécialement choisie et favorisée par le Très-Haut, toi qui va recevoir un honneur que toutes les mères juives ont si longtemps désiré !

Dans cet exemple, nous constatons un cas classique où rien n'est mentionné quant au verbe causatif, au temps du participe parfait, et encore moins au vocatif. L'expression "choisie et favorisée" - sur laquelle nous reviendrons ultérieurement - ne peut être assimilée à "rendue gracieuse, formée par la grâce". Le terme "Κεχαριτωμενη" peut être interprété comme signifiant : "Toi à qui il a été pleinement accordé d'être gracieuse et qui continue de l'être pleinement". De plus, de nombreuses traductions protestantes rendent ce terme au passé composé : "Toi à qui une grâce a été faite". Or, cela ne signifie pas nécessairement "Toi à qui une grâce va être faite", car Luc 1, 28 ne traite pas directement de la future maternité de la Vierge Marie ; il décrit plutôt son état passé et actuel. Ainsi, le commentaire de M. Henry est déplacé par rapport au sens véritable de Luc 1, 28.

Commentaire biblique de la chaire : Salut, tu es très favorisé. La pléna gratie de la Vulgate, a déclaré et chanté si souvent dans le célèbre Hymn de la Vierge, est un rendu inexact. Plutôt, "Gratia Cumulata", comme cela a été bien rendu. "Ayant été très gracié (par Dieu)" est la traduction littérale du mot grec. Art béni que vous parmi les femmes. Ces mots doivent être frappés; ils n'existent pas dans les autorités plus âgées.

L'expression "Gratia Cumulata" (grâce accumulée) est curieuse. Elle pourrait suggérer que dès sa conception, en vertu d'un privilège accordé par le Fils (nous en discuterons plus en détail par la suite), Marie est comblée de grâce, façonnée par la grâce autant qu'il est possible, et elle "accumule" cette grâce tout au long de son développement pour en être remplie à chaque étape de sa vie, depuis sa conception jusqu'à un accomplissement qui précède l'Annonciation.

A ce stade, nous devons faire la distinction entre Actes 6, 8 où St. Étienne le diacre est également décrit comme étant "plein de grâce", littéralement du grec πλήρης (plein) χάριτος (de grâce), et Luc 1, 28 où la Vierge Marie est "formée de grâce" pendant une période de son existence passée.

Évidemment, ce n'est pas le sens que lui donne le commentaire de la chaire qui, immédiatement après, se perd dans une circonvolution : "Ayant été très graciée (par Dieu)". Est-ce à dire qu'elle a été "très pardonnée" (par Dieu) ? Déjà, le sens des mots évolue.

La Vierge Marie n'a pas simplement été graciée, elle est devenue la grâce elle-même (vocatif) ! C'est un autre déplacement de sens : nous ne sommes pas dans la voie active (Dieu en tant que cause), mais dans la voie passive (Marie en tant qu'effet). Le sujet de ce passage, c'est la Vierge Marie (Toi qui es ou toi à qui).

Bible Annotée : Grec : toi qui es graciée, qui es l’objet de la grâce, de la faveur de Dieu.

C’est le même mot qui est appliqué à tous les croyants, Éphésiens 1.6, où quelques versions le rendent par : « il nous a reçus en grâce », d’autres : « rendus agréables en son bien-aimé ».

Ce sens est sans aucun doute applicable à Marie, qui, comme tous les hommes, ne pouvait être sauvée que par grâce ; mais on peut admettre que l’ange lui promettait en ces termes la grande bénédiction spéciale qui allait lui être accordée (comparer verset 30).

C’est pourquoi l’ange ajoute : le Seigneur est avec toi.

Dans le passage de Luc 1, 28, on observe une fois de plus les efforts déployés pour contourner les règles grammaticales, mettant en lumière les subtilités linguistiques et théologiques. Une comparaison est établie avec Éphésiens 1, 6, mais sans insister sur le fait que dans ce dernier verset, le verbe "charitoo" est conjugué à l'indicatif aoriste actif, soulignant ainsi l'action du Christ. En effet, c'est le Christ qui "rend gracieux", agissant en tant que cause, tandis que Marie en est l'effet dans Luc 1, 28. Marie a été "rendue gracieuse", cette action ayant débuté dans le passé.

Le verset 30, "tu as trouvé grâce", utilise également le verbe à l'indicatif aoriste actif, décrivant une action présente de Marie. Il ne doit pas être confondu avec Luc 1, 28 où la voix est passive et le temps différent. En effet, le passage au verset 31, "Tu concevras", est au futur, alors que Luc 1, 28 est au parfait, indiquant ainsi "le résultat actuel et durable d’une action" passée. Cette distinction est cruciale pour une compréhension précise du texte et de son contexte théologique.

Exemple : 

Lc 1, 1 "Plusieurs ayant entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis (Participe Parfait Passif) parmi nous"

Qu'est-ce qui constitue le récit de ce qui s'est accompli ? Ce sont les événements. Le verbe accomplir est à la voie passive. L'évolution a débuté dans le passé et, au moment où saint Luc écrit cette phrase, il témoigne de leur réalisation.

Si vous avez d'autres commentaires protestants sur Lc 1, 28, merci de les partager.  

Et Calvin ? 

"Salut, toi qui as obtenu la faveur La commission de l'ange étant d'une étonnante et presque description incroyable, il l'ouvre par une louange de la grâce de Dieu. Et certainement, puisque nos capacités limitées admettent une portion trop mince de connaissances pour comprendre l'immense grandeur des œuvres de Dieu, notre meilleur remède est de les élever à la méditation sur sa grâce sans bornes. Une conviction de la bonté divine est l'entrée de la foi, et l'ange observe correctement cet ordre, qu'après avoir préparé le cœur de la vierge par la méditation sur la grâce de Dieu, il peut l'élargir pour recevoir un mystère incompréhensible. Pour le participe κεχαριτωμένη, qu'emploie Luc, dénote la faveur imméritée de Dieu. Cela apparaît plus clairement de l'Épître aux Éphésiens, (Éphésiens 1, 6,) où, en parlant de notre réconciliation avec Dieu, Paul dit, Dieu " nous a fait accepter (ἐχαρίτωσεν) dans le Bien-Aimé:" c'est-à-dire qu'il a reçu en sa faveur, et embrassés avec bonté, nous qui étions autrefois ses ennemis."

Encore une fois, les protestants semblent préférer parler de "faveur" et évitent de considérer l'œuvre de la grâce (verbe causatif), au profit d'une "élection". Cependant, il n'est pas question d'élection dans Luc 1, 28. On peut soupçonner ici Calvin de faire de la pastorale, de simplifier pour conduire directement son lecteur là où il souhaite, sans trop s'écarter du texte.

Que peut bien signifier Calvin lorsqu'il affirme que "l'ange a préparé le cœur de la Vierge Marie par la médiation de la grâce de Dieu" ? Mais où trouve-t-il des appuis pour soutenir cela ? Eh bien, il détourne le participe parfait passif.

Revenons sur ce point. Le verbe "charitoo" est un verbe causatif. C'est Dieu qui "rend gracieuse" la Vierge Marie, il en est la cause. C'est ce qui est évoqué en Éphésiens 1, 6. La Vierge Marie est "rendue gracieuse". Le verbe causatif conjugué au parfait indique ici l'effet produit en Marie. Or, cet effet, rendre gracieux, seul le Christ peut le réaliser en raison de son sacrifice. L'ange n'a pas cette capacité. Ce n'est pas l'ange qui accorde la "grâce qui a été faite", car c'est lui qui le déclare en s'adressant à la Vierge Marie. Il ne dit pas : "La grâce que tu as reçue et qui t'a formée par mon intermédiaire"...

De plus, le parfait indique un temps qui a duré dans le passé, qui s'est accompli et qui est observé dans le présent ; ce n'est pas une succession de deux moments. Il ne s'agit donc pas d'une question de minutes, encore moins de secondes, entre "Χαῖρε" (Réjouis-toi) et "κεχαριτωμενη" (Toi qui as été pleinement rendue gracieuse et qui le demeure). Que ce soit de manière consciente ou non, Calvin dévie également le sens de ce texte.

Prenons un autre exemple du participe parfait passif dans l'Évangile de saint Luc pour illustrer cela à nouveau.

Luc 6, 40 Le disciple n’est pas plus que le maître ; mais tout disciple accompli (Participe parfait passif) sera comme son maître.

Une fois de plus, le cheminement du disciple jusqu'à son accomplissement ne se réalise pas en une courte période.

C'est pourquoi le réformateur se trompe ici. La "réjouissance" de la Vierge Marie n'est pas une "préparation de son cœur". Elle se réjouit d'être et d'avoir été rendue gracieuse. C'est ainsi qu'on pourrait le traduire.

Mais Calvin ne s'arrête pas là et poursuit en citant Éphésiens 1, 6, la seule autre occurrence du verbe "charitoo". Il traduit la phrase de saint Paul ainsi : "nous a fait accepter (ἐχαρίτωσεν) dans le Bien-Aimé".

Cette traduction est totalement incorrecte. Le verbe "charitoo" conjugué ici à l'aoriste actif devrait plutôt être traduit ainsi : "Il nous a rendus gracieux dans le Fils bien-aimé", c'est-à-dire régénérés. Ce terme est en effet tout à fait approprié. De plus, dans ce contexte d'Éphésiens 1, 4 rien n'indique le verbe "acceptable", mais plutôt "immaculé".

Peut on remplacer "rendre gracieux" par favoriser dans la traduction ? 

L'argumentation peut être développée en soulignant davantage les implications théologiques et herméneutiques de la traduction de "charitoo" dans Luc 1, 28.

Tout d'abord, en mettant en évidence la signification du verbe causatif, on peut insister sur le processus de développement graduelle de la Vierge Marie décrit dans le texte. Ce déploiement de la grâce au point d'en être "rendue gracieuse" par les mérites anticipés du Christ, suggère une action divine active et continue qui influence la vie de Marie depuis sa conception jusqu'à son existence actuelle. Cette compréhension est essentielle pour saisir la portée de la grâce divine à l'œuvre dans la vie de Marie.

Ensuite, en comparant cette interprétation avec celle de certaines traductions protestantes qui préfèrent utiliser des termes tels que "favoriser" ou "recevoir la faveur", on peut souligner les différences conceptuelles qui en découlent. L'idée de "favoriser" implique une sorte de préférence ou de choix arbitraire de la part de Dieu, tandis que l'emploi du verbe causatif à la voix passive met plutôt en avant l'action de développement de la grâce divine. Cela remet en question la nature même de la relation entre Dieu et Marie, en insistant sur le rôle actif de Dieu dans la formation de Marie.

De plus, en examinant le contexte plus large des Écritures, notamment Éphésiens 1, on peut montrer que l'idée de "grâce" va au-delà de simplement être "accepté" ou "favorisé", mais englobe plutôt le concept de sainteté et d'immaculée. Ainsi, la traduction qui se rapproche le plus du sens original, bien que peut-être partielle, est celle qui met l'accent sur l'idée d'une grâce accordée à Marie.

En conclusion, une analyse approfondie de la traduction de "charitoo" dans Luc 1, 28 met en lumière des implications théologiques importantes concernant la nature de la grâce divine et le rôle de Marie dans le plan de salut.

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