L'Immaculée Conception sur ses bases scripturaires littérales.

Publié le 11 Février 2024

L'Immaculée Conception sur ses bases scripturaires littérales.
Une "grâce a été faite" ou "comblée de grâce" (Lc 1, 28) ? 

Si l'on écoute nos frères séparés, l'Immaculée Conception ne semble pas être explicitement évoquée dans les Écritures - certainement pas, surtout pas ! Mais qu'en est-il vraiment ? L'Immaculée Conception est-elle une "innovation tardive" ou bien la redécouverte récente de la foi primitive de l'Église ?

Il est vrai que l'Immaculée Conception ne se trouve pas de manière explicite dans les Écritures, tout comme la doctrine de la Trinité. Cependant, cela n'empêche pas certains de nos frères réformés et protestants de professer le credo de Nicée.

Mais sans plus attendre, plongeons-nous dans le sujet.
Dans Luc 1, 28, nous rencontrons une expression qualifiant la Vierge Marie que nous ne trouvons nulle part ailleurs dans toute la Bible. Nous allons enquêter afin de tirer le maximum d'informations possibles dans le but de comprendre réellement la signification de ce verset.

L'Ange Gabriel est envoyé par Dieu pour annoncer une bonne nouvelle à la Vierge Marie : "Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi." (Bible Jérusalem)

Les lecteurs assidus de la Bible comprennent bien qu'il est parfois nécessaire de comparer plusieurs traductions pour saisir le sens du récit, mais cela n'est pas toujours évident. Il est souvent nécessaire de se référer à la préface ou aux notes en bas de page ! Ici, nous avons la traduction de la Bible de Jérusalem, semblable à toutes les bibles catholiques, qui, suivant la traduction latine de saint Jérôme, traduit invariablement "comblée de grâce". Ce terme peut choquer certains de nos amis protestants, mais il est loin de nous offrir toute la substance du texte original, qui est complètement intraduisible en français.

La Louis Segond 21 et celle de la Nouvelle Edition de Genève traduiront : "toi à qui une grâce a été faite"

Bible du Semeur quant à elle : "toi à qui Dieu a accordé sa faveur"

Ce qui est immédiatement perceptible, c'est que les catholiques utilisent le temps présent : "Réjouis toi, comblée de grâce", tandis que les bibles protestantes traduisent au passé composé : "a été" ou "a accordé". On remarque que la Bible du Semeur élude le verbe grec charitôô - nous y reviendrons - lui préférant "faveur"; probablement par commodité, les protestants préfèrent interpréter ce verset comme une élection de la Vierge Marie en vue de sa maternité plutôt que toute autre définition théologique, comme par exemple l'Immaculée Conception...

L'un utilise le présent, tandis que l'autre utilise le passé composé. Mais alors, quelle est cette grâce que Dieu a accordée à la Vierge Marie dans le passé ? L'Écriture ne nous le dit pas. Du moins, pas explicitement. Que faire alors ? Eh bien, recherchons ensemble à partir du texte grec.

L’Annonciation de Botticelli

L’Annonciation de Botticelli

Explication philologique de Κεχαριτωμένη

La traduction de χαριτόω conjugué dans au participe parfait passif en français (rassurez vous, nous y revenons plus bas) est en effet complexe. Cela s'explique par le fait que ce verbe et ce temps conjugués n'ont pas d'équivalents directs en français. C'est pourquoi nos bibles, qu'elles soient catholiques ou protestantes, peinent à rendre pleinement le sens de cette expression.

Les verbes causatifs

Le verbe conjugué en grec est : κεχαριτωμενη, transcrit en alphabet latin : kecharitōmēnē. Il dérive du verbe charitôô, lui-même issu du mot charis (grâce). Il appartient également à la famille des verbes causatifs, qui sont des verbes à la voix active ou passive, agissant en tant que cause ou effet du sujet cela peut être renforcé par le temps qui est employé. Et ils se trouve que c'est le cas ici. 

En français, charitôô pourrait être traduit au plus proche par "rendre gracieux". Ce verbe n'apparaît que deux fois dans la Bible : en Luc 1, 28 et en Éphésiens 1, 6, où la Bible de Jérusalem le traduit ainsi : "à la louange de gloire de sa grâce, dont Il nous a gratifiés dans le Bien-Aimé."

Quant à la traduction Louis Second : "la louange de la gloire de sa grâce qu'il nous a accordée en son bien-aimé."

Encore une fois, la traduction est très approximative, mais nous y reviendrons également.

Voici une liste des verbes causatifs tiré de l'ouvrage de Ignace de la Potterie1 afin de bien saisir ce sens cause/effet:

Le parfait de Lc 1, 28

Prenons différents ouvrage de grammaire grec du nouveau testament afin de saisir le sens que veut donner l'usage de ce parfait. 

"L'initiation au grec du nouveau testament" de Pierre Létourneau, nous trouvons cette définition :  

"Le parfait, dont la nuance est inconnue en Français sert a exprimer l'effet actuel d'une action passée achevée"

"Greek Grammar "Herbert Weir Smyth :

"Le parfait dénote une action complète avec un résultat permanent"

"La grammaire grec du nouveau testament" de Maurice Carrez p.38 :

"Les trois temps du groupe passé (Parfait, plus-que-parfait, future du parfait) indiquent une action qui est complètement achevée et qui a duré. Ce trois temps conservent dans le passé achevé les nuances qu'avaient, l'un par rapport à l'autre, le passé, l'imparfait, le futur."

"Grec du nouveau testament" Bernard Guy et Jacques Marcoux :

"Sens du parfait :
Le parfait exprime une action passée que l'on considère par rapport à ses effets dans le présent. Il correspond au present perfect de l'anglais, mais n'a pas vraiment d'équivalent en français.  lorsqu'Archimède s'écrie "eúonka", il est en train de dire qu'il a trouvé (action passée) et qu'il détient maintenant le fruit de sa découverte (résultat présent). (NB. Garder à l'esprit que pour Archimède, nous sommes à la voie active)
Nous rendons généralement le parfait par un passé composé, mais le passé composé est ambiguë parce qu'il correspond parfois à l'aoriste (action passée qui n'est pas reliée au présent) et parfois au parfait (action passée reliée au présent par ses conséquences)."

À la lumière de ces quatre définitions, il devient possible de comprendre que l'usage du parfait implique une cause dans le passé, poursuivant une action progressive jusqu'à un moment donné où elle s'accomplit de manière définitive. À partir de ce moment-là, quel que soit le moment, le résultat achevé est constaté. Par exemple, au moment de l'Annonciation, où l'Ange constate l'accomplissement de la grâce en Marie.

L'usage du parfait passif indique une transformation achevée qui ne changera jamais d'elle-même.

Le participe passif

Le participe passif peut être traduit de la manière suivante : "Qui a été rendu gracieux" (participe passif). En résumé, il exprime l'effet actuel et permanent résultant d'une cause.

Exemple 

En Lc 16, 20, nous trouvons un verbe participe parfait passif qui nous aidera à clarifier le sens. Nous sommes dans la parabole du Riche et de Lazare :
"Et un pauvre, nommé Lazare, gisait près de son portail, tout couvert (Participe Passé Passif) d'ulcères."
Sans se perdre dans une analyse philologique approfondie, mais en appliquant le sens de ce que nous venons d'apprendre du participe parfait passif, nous pouvons comprendre que la maladie qui a affligé le pauvre Lazare était une maladie progressive et dégénérative, maintenant achevée sans espoir de guérison en l'absence de toute cause extérieure. D'ailleurs, c'est dans l'au-delà que cette parabole trouvera son dénouement.

Conclusion 

Par conséquent, il est facile de comprendre que la traduction du semeur donnée au début, "toi à qui Dieu a accordé sa faveur", pose problème. On remarque l'action de Dieu (Dieu a accordé), alors que le texte parle de l'effet produit en Marie ; il n'est nullement question de Dieu dans le verset original.
De plus, le terme "charis" (grâce) et encore moins "charitôô" (rendue gracieuse) ne sont pas rendus compte par le traducteur, préférant induire la faveur (un choix, une élection) de Dieu en vue de la conception future du Christ (verset 31).
Le sens est complètement dévoyé.

Pour exemple, le commentaire de la Bible Annotée :

"Ce sens est sans aucun doute applicable à Marie, qui, comme tous les hommes, ne pouvait être sauvée que par grâce ; mais on peut admettre que l’ange lui promettait en ces termes la grande bénédiction spéciale qui allait lui être accordée"

Après avoir compris ce qui précède, le "On peut admettre" de la Bible annotée reste une position audacieuse, sachant finalement que l'œuvre de la grâce en Marie a été achevée, qu'elle précède l'Annonciation, qu'elle a duré et que c'est là le sens original du grec. Le participe parfait passif est limpide. Il ne concerne pas le verset 31 "tu concevras...", qui lui est au futur !

Ne souhaitant surcharger cet article, cet autre est proposé pour exposer les erreurs protestantes à propos de Lc 1, 28... 

L'Immaculée Conception de Bartolomé Esteban Murillo

L'Immaculée Conception de Bartolomé Esteban Murillo

Ephésiens 1, 6, unique occurence de χαριτόω

L'indicatif aoriste actif de Eph 1, 6

Le plus souvent, l'indicatif aoriste actif est traduit par un passé simple ou un passé antérieur. 

"Grec du nouveau testament" Bernard Guy et Jacques Marcoux : 

"Sens de l'aoriste à l'indicatif : L'aoriste présente l'action globalement, sans indiquer que celle-ci dure ou se répète. Il s'agit d'une action dont le développement ne nous est pas décrit. Elle est vue soit dans sa totalité, à la manière d'un événement historique (il est venue chez les siens et les siens ne l'ont pas reçue), par rapport à son commencement (ils sont devenus silencieux), ou par rapport à son accomplissement (les principaux sacrificateurs et les anciens ont persuadé les foules de demander Barrabas). Contrairement à ce qui est souvent véhiculé, l'aoriste n'indique pas nécessairement une action instantanée ou unique. (Cf. Jn 2.20)"
 

On remarque une différence avec le participe parfait qui décrit "le sens présent de la chose pleinement acquise"2, il ne peut pas en dévier. Ici, l'aoriste défini un évènement ponctuel la plupart du temps, qui n'est pas raccordé au présent.  

Ce qu'il nous faut retenir d'Eph 1, 6, c'est que nous sommes à la voie active. L'attention est porté sur la cause et ici, le Christ qui "a gratifié" et qui "a accordé". Qui "rend grâcieux".

Exemples 

Les autres versets indicatifs aoristes actifs sont très évocateurs en ce sens. En Mt 1 dans la généalogie de Jésus, tous les verbes "engendrer" ont cette forme grammaticale. On le retrouve un peu plus loin en Mt 2, 11 " Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent (Aoriste actif) devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent (aoriste actif) leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe."

Et ainsi de suite. Pour la suite de notre cheminement, ce qu'il faut retenir, c'est qu'ici, nous sommes à la voie active. Le verbe utilisé dénote une action du sujet. 

Eph 1, 6 peut-il nous aider à mieux comprendre encore Lc 1, 28 ?

En Éphésiens 1, 6, c'est le Christ qui est cause, qui "rend gracieux" tandis que dans Lc 1, 28, la Vierge Marie est "rendue gracieuse",  l'effet est produit en elle. C'est la voix passive. 

En Éphésiens 1, 6, il n'est pas question d'une action passée qui aurait entraîné une transformation pleinement réalisée comme dans le cas de κεχαριτωμενη. Bien que le verbe soit le même, il ne s'agit pas du même temps ni de la même voix, et cela modifie complètement le sens de la proposition. En effet, certains protestants pourraient être tentés d'établir un lien entre Éphésiens 1, 6 et Luc 1, 28 afin de soutenir que Marie aurait été élue au moment de l'Annonciation, ce qui, comme nous venons de le voir, viderait le participe parfait passif de toute sa substance pour lui faire dire autre chose.

Mais que nous enseigne le contexte d'Éphésiens 1, 6 ? Il nous révèle que l'action du Christ, exprimée par "la grâce qu'il nous a donnée" (ἐχαρίτωσεν), vise à produire un effet, celui de nous rendre "saints, immaculés devant lui" (Éphésiens 1, 4). Et plus loin dans l'épitre, que "le Christ s'est livré pour l'Eglise" (Éphésiens 5, 25) afin de la "sanctifier" car "il voulait se la présenter à lui-même, cette Église, resplendissante, sans tache, ni ride, ni rien de tel ; il la voulait sainte et immaculée." (Éphésiens 5, 27) 

Le coup de grâce du vocatif

Il s'agit d'une déclinaison.  Le vocatif est une forme grammaticale d'interpellation, utilisée lorsque nous nous adressons à une personne, comme lorsque nous prions Dieu en l'appelant "Seigneur". Il se distingue du nominatif, qui est utilisé pour désigner une personne ou une chose, comme dans l'expression "le Seigneur est tendresse".

Puisque le vocatif est utilisé dans Κεχαριτωμένη, nous pouvons conclure que l'Ange identifie la Vierge Marie à la "grâce faite femme". C'est le titre par lequel il l'appelle.

À la lumière de cette analyse, le sens du verset 29 apparaît plus clair :

"Troublée par cette parole, Marie se demandait ce que pouvait signifier une telle salutation."

Conclusion : 

Après cette réflexion approfondie, une question cruciale se pose : dès le départ, nous pouvons exclure toute interprétation relative à une "purification" de la Vierge Marie au moment de l'Annonciation, pendant sa maternité ou à un stade ultérieur. Il est établi que la Vierge Marie était déjà immaculée au moment de l'Annonciation.

La question qui se pose alors est la suivante : "Depuis quand ?" L'Immaculée Conception élimine toute notion de "purification" au profit d'une préservation du péché. Selon cette doctrine, la Vierge Marie aurait été sauvée du péché en étant préservée de celui-ci dès sa conception.

Saint Thomas d'Aquin, quant à lui, place la purification de la Vierge Marie juste après sa conception et après son animation.

Il convient de noter que, tout comme certains protestants, certains Pères de l'Église situent cette purification au moment de l'Annonciation, voire à la conception du Christ. Il est intéressant de remarquer que cette tendance est particulièrement marquée chez les Pères latins. Une des raisons probables de cette divergence pourrait résider en partie dans la traduction de saint Jérôme, qui ne rend pas pleinement compte du sens grec, comme nous l'avons vu concernant le participe parfait passif.

En ce qui concerne Éphésiens 1, 6, il est pertinent de se demander si le Christ, aurait pu rendre la Vierge Marie sans tache, sans rides et immaculée, ou s'il se serait contenté de lui accorder la grâce sans l'immaculée. Cette question soulève également des interrogations sur notre propre statut, en tant que "fils adoptifs" (v. 5), prédestinés et immaculés, tandis que notre Mère (Galates 4, 4-5) ne le serait pas. Face à ces considérations scripturaires, cette dissonance semble peu cohérente.

Éphésiens 1, 6 décrit le don de grâce accordé par le Christ après sa naissance, son ministère, sa crucifixion, sa résurrection, son ascension, et le début du ministère de l'Église. Un élément de réponse est proposé dans cet article. 

Lc 1, 28 décrit notre très sainte mère la Vierge Marie comme ayant reçu la grâce, cette grâce de Eph 1, 6 avant, l'Annonciation - et nous nous permettons ce bond - au moment, de sa conception. 

L'Ecriture montre ici sa parfaite concordance avec le dogme de l'Immaculée Conception proclamé le 8 décembre 1854 dans la Constitution Apostolique Ineffabilis Deus

NB. Cet article sera susceptible de mises à jour en fonction de l'avancée de ce blog. 

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Article inspiré par ces lectures :

  • "Κεχαριτωμένη en Lc 1,28 Étude philologique" Ignace de la Potterie1
  • "Κεχαριτωμένη en Lc 1,28 Étude exégétique et théologique" Ignace de la Potterie 
  • "Sur la salutation de Gabriel à Marie" (Lc 1,28) Edouard Delebecque. Biblica, Vol. 65, No. 3 (1984), pp. 352-355 2

 

 

Rédigé par Marc

Publié dans #Immaculée Conception, #Bible

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